L'ouverture du recours pour excès de pouvoir aux actes de droit souple des autorités de régulation
Auteur : Justine Penchinat
Publié le :
19/05/2016
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Par un revirement de jurisprudence, le Conseil d’Etat a reconnu la recevabilité d’un recours en annulation dirigé à l’encontre d’actes de droit souple adoptés par des autorités de régulation.
En principe, la recevabilité du recours en excès de pouvoir est conditionnée par l’existence d’une décision faisant grief. Peut donc être contesté par cette voie un acte créant des droits ou obligations qu’un requérant estime contraires à ses intérêts.
La difficulté résulte des actes qui, s’ils ne créent ni droit ni obligation, ont malgré tout un impact économique considérable sur leurs destinataires. Certains actes dits de droit souple adoptés par les autorités de régulation sont ainsi concernés.
Il s’agit notamment des recommandations, des orientations de bonnes pratiques, des prises de position publiques et des alertes concernant par exemple le comportement d’un opérateur économique.
Ces actes ne peuvent pas, en principe, faire l’objet d’un recours en annulation. La jurisprudence y a pour autant déjà apporté quelques exceptions, la plus notable résultant de l’arrêt « Société Casino Guichard-Perrachon » (CE, 11 octobre 2012, n° 357193) qui reprend le raisonnement de l’arrêt « Duvignères » (CE, Section, 18 décembre 2002, n° 233618) et prévoit :
« Considérant […] que les prises de position et recommandations que (l’Autorité de la concurrence) formule à cette occasion ne constituent pas des décisions faisant grief ; qu'il en irait toutefois différemment si elles revêtaient le caractère de dispositions générales et impératives ou de prescriptions individuelles dont l'Autorité pourrait ultérieurement censurer la méconnaissance ».
Par deux arrêts du 21 mars 2016 (Fairvesta International GmbH, n° 368082 ; NC numericable, n° 390023), le Conseil d’Etat rappelle cette brèche et l’élargit considérablement :
« Considérant que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que ces actes peuvent également faire l'objet d'un tel recours, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ; que, dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité de régulation ; qu'il lui appartient également, si des conclusions lui sont présentées à cette fin, de faire usage des pouvoirs d'injonction qu'il tient du titre Ier du livre IX du code de justice administrative ».
La première espèce concerne un communiqué publié sur le site de l’Autorité des Marchés Financiers mettant en garde les investisseurs contre certaines offres d’investissements immobiliers. La seconde traite d’une prise de position de l’Autorité de la concurrence s’agissant de l’exécution d’une injonction adoptée dans le cadre d’une autorisation de concentration.
Confronté à ces deux catégories d’actes, le Conseil d’Etat précise les modalités de recevabilité du recours contre un acte de droit souple adopté par une autorité de régulation.
S’agissant des conditions de recevabilité liées à l’acte, peuvent être contestés ceux qui s’apparentent à des décisions par leur caractère général, impératif ou prescriptif, les actes de nature à produire des effets, économiques ou autres, « notables », et ceux dont l’objet est d’influencer « de manière significative » le comportement des opérateurs ciblés.
Concernant les autres conditions de recevabilité, l’intérêt du requérant doit être direct et certain et non pas seulement lésé de façon suffisamment directe et certaine. Quant au délai de recours, il n’est pas précisé, entraînant une interrogation sur l’effectivité du délai classique de deux mois s’agissant d’un acte de droit souple révélant potentiellement ses effets tardivement.
Pour terminer, le Conseil d’Etat ayant conclu dans les deux cas au rejet de la requête, demeure la question de savoir quelles seront les conséquences de l’annulation d’un tel acte. La jurisprudence devra déterminer de quelle manière revenir à la situation ex ante dès lors que l’acte de droit souple annulé n’avait créé ni droit ni obligation. Le Conseil d’Etat semble aiguiller les juges du fond dans cette démarche en leur rappelant l’usage possible des pouvoirs d’injonction.
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