Atelier du 1er avril 2016 / l’agent public et les réseaux sociaux
Auteur : Régis Constans
Publié le :
01/04/2016
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La problématique des agents publics utilisant les réseaux sociaux ou internet s’inscrit dans un cadre plus vaste, et plus ancien, relatif à la limitation de la liberté d’expression pour les fonctionnaires.
En effet, s'il ne fait aucun doute que les agents publics jouissent du droit à la liberté d'expression, l'exercice de ce droit doit être concilié avec les principes généraux qui s’imposent à l'Administration et les agents publics doivent veiller à ne pas manquer à leurs obligations de loyauté, de réserve et de discrétion.
L'étendue de la liberté d'expression s'apprécie de manière variable selon que l'agent public s'exprime dans le service ou en dehors du service
Dans l'exécution du service, la jurisprudence indique que le droit à la liberté d'expression de l'agent public doit normalement s'incliner devant l'exigence de neutralité du service public. Il convient également pour les agents de veiller à ce que leurs propos, actes ou comportements ne compromettent pas l'autorité hiérarchique, le respect du public ou perturbent l'exécution, par l'Administration, de ses missions d'intérêt général
Les agents publics peuvent également être soumis à une obligation de loyalisme, c'est-à-dire à une obligation de fidélité envers les institutions et d'adhésion aux valeurs fondamentales inhérentes à l'ordre constitutionnel du pays (même si les manquements à cette obligation restent peu sanctionnés en pratique).
En dehors du service, le droit à la liberté d'expression de l'agent public ne connaît de limites que dans le respect d'une obligation de réserve, une notion d'origine jurisprudentielle, dont le caractère relativement flou est parfois dénoncé et dont la codification a été maintes fois annoncée.
Cette obligation de réserve demeure toutefois d'intensité variable car le juge administratif estime que l'expression d'opinions personnelles après le service doit être notamment appréciée en fonction d'un certain nombre de facteurs. La jurisprudence indique ainsi qu'il convient notamment de prendre en compte la nature des fonctions et le rang hiérarchique de l'agent, les circonstances de temps et de lieux, le sujet abordé et la publicité donnée aux propos litigieux
Depuis l'adoption du premier statut législatif général des fonctionnaires civils, le 19 octobre 1946, la liste des droits reconnus aux fonctionnaires s'est progressivement allongée mais ce n'est qu'en 1983 qu'une disposition législative a expressément reconnu que “la liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires”. Il faut souligner l’absence de toute reconnaissance explicite de son corollaire dans une démocratie : le droit à la liberté d'expression.
En effet, les exigences de l'intérêt général peuvent justifier des restrictions spéciales aux droits et libertés des agents publics. La liberté d'expression n'a d'ailleurs jamais été reconnue comme un droit absolu et il est communément admis que l'exercice de ce droit par les agents publics doit être concilié avec les principes généraux qui guident l’action administrative.
Le juge administratif a ainsi admis, de longue date, que l'exercice par les fonctionnaires de leur droit à la liberté d'expression ne doit pas notamment compromettre l'autorité hiérarchique, le respect du public ou venir perturber l'exécution, par l'Administration, de ses missions d'intérêt général
Dans la recherche de ce juste équilibre, il est possible de distinguer la situation de l'agent public selon qu'il se trouve dans l'exécution du service (I) ou en dehors du service (II).
L'étude du droit positif pousse à conclure que, dans le premier cas, la liberté d'expression demeure plutôt l'exception alors que, dans le second, elle redevient le principe même si elle peut être encore limitée.
Le caractère variable de l'étendue de la liberté d'expression de l'agent public s'explique par une appréciation différente des devoirs et responsabilités de celui-ci. Dans l'exécution du service, le droit à la liberté d'expression de l'agent public s'incline normalement devant les exigences de neutralité du service public et de respect de la dignité de la fonction, voire, dans certains cas, devant une obligation de loyalisme envers les institutions et les gouvernants. En dehors du service, le droit à la liberté d'expression de l'agent public est reconnu plus largement et ne connaît de limites que dans le respect d'une obligation de réserve.
Il faudra ensuite rappeler que la liberté d’expression peut faire l’objet de modulations dans certaines circonstances que l’on estime pouvoir justifier une plus grande liberté vis-à-vis du devoir de réserve (III).
Enfin, la jurisprudence étant en mouvement perpétuel sur les questions relatives à l’expression des agents sur les nouveaux moyens de communication, il conviendra d’analyser les spécificités des décisions rendues récemment en la matière (IV).
I. - Liberté d'expression dans l'exécution du service
L’agent public : entre neutralité et loyalisme
Le Conseil d'État a reconnu que, "dans l'exécution du service, l'État peut exiger du fonctionnaire qu'il s'abstienne de tout acte propre à faire douter, non seulement de sa neutralité, mais de son loyalisme envers les institutions, voire, compte tenu de l'obéissance hiérarchique, envers les gouvernements" (CE, 3 mars 1950, Rec. CE 1950, p. 247).
Cette obligation de neutralité, d'impartialité, déduite de la fonction sociale tout à fait spécifique qu'exerce l'agent public, justifie généralement que soit exclue, dans l'exécution du service, toute expression de ses opinions. Il s'agit tout simplement d'éviter que l'agent public ne se serve de sa fonction à des fins de propagande ou fasse craindre aux administrés, par ses propos, actes ou comportements, que l'accès au service public ou son fonctionnement obéissent à des considérations idéologiques.
En principe, tout fonctionnaire peut toutefois être inscrit à un parti politique, militer activement dans un groupement d'opposition, sous la réserve cependant que l'organisation soit légalement formée et que le fonctionnaire n'incite pas à la réalisation d'actes illégaux ou à la violence. Le juge administratif ne manque donc pas de veiller au respect de la liberté d'adhérer à un parti politique (CE, 8 juillet 1991, Rec. CE 1991, p. 1022).
De la correction dans les rapports des collègues et subordonnés
Le bon fonctionnement du service appelle, bien entendu, un minimum de correction dans les rapports qui se créent entre les agents. "Que cette correction évolue avec les mœurs du temps et les rites mouvants de la vie sociale, c'est l'évidence. Mais, sous des formes qui changent, la nécessité subsiste" (Jean Rivero).
Tout agent doit ainsi s'abstenir de formuler des jugements blessants ou de tenir des propos outranciers sur ses collègues ou subordonnés ou encore, de façon plus grave, de proférer des injures. Un tel comportement ne peut être en effet qu'incompatible "avec la réserve incombant à tout fonctionnaire et spécialement à un chef de bureau dans ses rapports avec ses collègues et ses subordonnés" (CE, 9 juillet 1965, Rec. CE 1965, p. 421).
De la déférence à l'égard du supérieur
La déférence dont doit faire preuve l'agent public à l'égard de son supérieur n'est pas nouvelle. En effet, dès 1911, le Conseil d'État a admis le principe qu'un fonctionnaire puisse être sanctionné dès lors qu'il adresse une lettre à son supérieur dont les termes sont fautifs ou dépourvus de mesure (CE, 10 mars 1911, Rec. CE 1911, p. 314). Tout subordonné a également le devoir de ne pas porter atteinte à l'honorabilité d'un supérieur (CE, 1er décembre 1967, Rec. CE 1967, p. 458), en tenant des propos diffamatoires à son encontre (CE, 11 février 1953, Rec. CE 1953, p. 709) ou encore, en mettant en doute ses compétences devant les autres subordonnés (CE, 30 septembre 1983, Rec. CE 1983, p. 394).
Ce devoir de déférence et de correction dans l'expression (le juge administratif préfère généralement évoquer aujourd'hui les obligations déontologiques de loyauté et de dignité, cela semble moins désuet que la déférence) s'applique évidemment aux fonctionnaires territoriaux.
Pour ne citer qu'un exemple, dans un arrêt du 19 octobre 2010, la cour administrative d'appel de Bordeaux a validé la révocation d'un technicien supérieur territorial qui avait multiplié des courriers irrespectueux au président de la communauté de communes dont il relevait et entravé des réunions de travail en brandissant de soi-disant enregistrements, car, ce faisant, ce fonctionnaire avait "méconnu gravement son devoir de réserve" (CAA Bordeaux, 19 octobre 2010, n° 10BX00689).
De la sanction de l’utilisation des moyens de communication du service afin de critiquer collègues, supérieurs ou l'Administration
L'usage de la messagerie électronique du service pour critiquer ses supérieurs est évidemment susceptible d'entraîner la prise de sanctions disciplinaires. Cela n'est guère choquant ou surprenant. Toutefois, il est possible que le juge administratif reconnaisse le "caractère manifestement disproportionné" d'une sanction disciplinaire lorsque l'agent est animé par le souci de défendre une application rigoureuse de la loi et que les messages diffusés, bien que critiquant les supérieurs de l'agent, ne jettent pas le discrédit sur l'Administration à laquelle appartient cet agent (CAA Bordeaux, 15 novembre 2010, n° 09BX02805).
De la préservation des intérêts des administrés et des informations détenues par le service
Outre la préservation du service en tant que tel, les obligations déontologiques imposées aux agents publics peuvent aussi viser la protection des administrés, usagers du service public. Ainsi, les agents publics sont soumis à l'obligation déontologique de ne pas révéler les renseignements confidentiels ou secrets dont ils ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions et de ne pas communiquer des pièces et documents administratifs à des tiers.
Cette obligation est expressément prévue par l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui dispose que “Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le Code pénal” et qu’ils doivent “faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions”.
L'obligation de secret professionnel et l'obligation de discrétion professionnelle apparaissent non seulement raisonnables mais légitimes et nécessaires dans la mesure où il s'agit de ne pas compromettre la confiance des administrés dans le service public.
II. - Liberté d'expression en dehors du service
De la création jurisprudentielle d'une obligation de réserve
L'obligation de réserve, qui contraint les agents publics à observer une retenue dans l'expression de leurs opinions, notamment d'ordre politique, sous peine de s'exposer à une sanction disciplinaire, ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique. Il s'agit d'une création jurisprudentielle que la doctrine fait généralement remonter à une décision du Conseil d'État rendue le 11 janvier 1935(CE, 11 janvier 1935, Rec. CE 1935, p. 44).
Aucun texte ou décision ne donne une véritable définition de l'obligation de réserve et son caractère flou est souvent dénoncé. Il convient de noter que lors de l’examen du projet de loi « déontologie » par le Sénat, un amendement avait été introduit pour que cette obligation de réserve soit enfin intégrée au statut. Toutefois, le 29 mars 2016, lors de l’examen du texte par la commission mixte paritaire, l’amendement a été écarté. Vraisemblablement, l’obligation de réserve ne sera pas intégrée dans le statut des fonctionnaires à l’occasion du vote de la loi « déontologie ». Une nouvelle occasion manquée.
Faute de définition textuelle, l’on peut essayer de définir l’obligation de réserve dans les termes suivants :
La réserve est à la fois l'obligation pour l'agent de s'exprimer de façon prudente et modérée et la censure de son comportement social qui lui sont imposées en vue d'éviter toute expression ou tout acte incompatible avec les nécessités du service (c'est-à-dire réagissant sur le service soit directement en rendant l'accomplissement impossible ou plus difficile, soit indirectement par l'atteinte portée à la considération du service).
Du caractère concret de l’appréciation de l'expression de l'agent public
Après le service, l'expression d'une opinion, par un agent public doit être appréciée au vu des circonstances propres à chaque cas d'espèce avant de conclure à un éventuel manquement au devoir de réserve.
La jurisprudence indique ainsi qu'il convient de prendre en compte la nature des fonctions et le rang hiérarchique de l'agent ; les circonstances de temps et de lieux ; le sujet abordé et la publicité donnée à la déclaration.
Dans la mesure où l'appréciation du caractère fautif d'une manifestation d'opinion est tributaire de multiples facteurs, la jurisprudence se prête difficilement à un exercice de systématisation.
S’ il est possible d'examiner séparément quelques-uns de ces facteurs, l'idée sous-jacente paraît être toutefois "que l'expression des opinions devient fautive lorsqu'elle est susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement du service" (L. Dubouis, note sous CE, 8 juin 1962, D. 1962, jurispr. p. 492), en rendant plus difficile, pour l'agent public qui en est l'auteur, l'exercice ultérieur de ses fonctions, soit sur le plan des relations avec ses supérieurs hiérarchiques, soit vis-à-vis du public.
De l’appréciation de la réserve selon la nature des fonctions occupées et le rang hiérarchique
Méconnaît le devoir de réserve qui s'impose à tout agent public le directeur d'un établissement de transfusion sanguine qui a tenu des propos critiques dans la presse quant à la politique de restructuration mise en place par l'agence compétente alors qu'il était chargé, aux termes même de son contrat, de mettre en œuvre la politique définie par celle-ci. Eu égard à la nature du poste qu'il occupait, un tel manquement pouvait légalement justifier le licenciement de l'intéressé (CAA Marseille, 7 mars 2006, Etablissement français du sang, n° 02MA02259).
De l’appréciation de la réserve selon la publicité donnée
La publicité donnée à une critique du pouvoir politique est presque invariablement considérée comme une circonstance aggravante et vaut généralement une mesure d'éviction.
Est-ce qu’une telle sévérité est-justifiée ? Cela n’a rien d’éonnant car, d'une part, la sanction est alors motivée par le fait que le fonctionnaire est discrédité aux yeux de ses interlocuteurs et, d'autre part, il est impensable que l'agent puisse continuer à appliquer une politique qu'il réprouve par ailleurs publiquement.
Il est à noter que la jurisprudence étend l'obligation de réserve au comportement général des fonctionnaires, qu'ils agissent à l'intérieur ou en dehors du service. Dans le cas particulier du web log ou blog (journal personnel sur Internet), la publicité des propos ne fait aucun doute. Tout dépend alors du contenu du blog. Dans ses écrits, le fonctionnaire auteur doit observer, en effet, un comportement empreint de dignité, ce qui, a priori, n'est pas incompatible avec le respect de sa liberté d'expression. En tout état de cause, il appartient à l'autorité hiérarchique, dont dépend l'agent, d'apprécier si un manquement à l'obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire.
De l’appréciation de la réserve selon les sujets abordés
Si toute participation des agents publics à la vie de la cité ne peut être tout simplement interdite car il est dans l'intérêt de la démocratie que ceux-ci puissent intervenir dans les débats relatifs à des questions d'intérêt général, l'agent doit éviter en toutes circonstances toute intervention écrite ou orale sur des questions intéressant le service auquel il appartient, les affaires qu'il traite ou encore les instructions qu'il reçoit.
Outre le respect obligatoire du secret professionnel qui protège aussi bien les faits concernant un particulier que les informations de caractère administratif, les agents sont normalement tenus à une obligation de discrétion professionnelle qui fait obstacle à ce qu'ils livrent au public, par la voie d'ouvrages notamment, leurs considérations sur le travail effectué au sein de la fonction publique (par exemple, cela a été le cas de l’agent des services de la Région aquitaine, qui sous le pseudonyme de Zoé Sheppard a publié un ouvrage intitulé « Absolument débordée » relatant la vie de son service, ce qui lui a valu une sanction disciplinaire).
De l’obligation de réserve dans le domaine de la vie privée
Dans le domaine de la vie privée, l’obligation de réserve dépasse le simple cadre de la liberté d’expression de l’agent public pour prendre aussi en considération son comportement. En ce sens, l’obligation de réserve consiste avant tout à éviter certains comportements en dehors du service qui pourraient discréditer l'Administration ou heurter le prestige ou la dignité qui s'attachent aux fonctions exercées.
Il ne s'agit pas alors de censurer l'expression de certaines idées ou opinions, même s'il est vrai que chacun peut librement décider de s'exprimer par le geste ou une certaine attitude. Néanmoins, dans la fonction publique, lorsque se pose le problème du respect de l'obligation de réserve dans la vie privée, c'est plutôt dans l'idée que chaque agent public est soumis au respect d'une certaine moralité, d'une éthique que doivent retranscrire ses actions privées. En effet, selon le commissaire de gouvernement Laurent, "en se livrant à certaines manifestations en sortant de la réserve que ses fonctions publiques doivent imposer à sa vie privée, le fonctionnaire peut porter atteinte à la considération du service public et jeter le trouble parmi les administrés : il commet alors une faute contre le service". Le commissaire du gouvernement prenait cependant soin de préciser que : "nous ne saurions admettre, d'une manière générale, que l'intérêt du service seul puisse aller jusqu'à inclure un certain conformisme dans la vie privée [...] ce serait assimiler en fait et en droit l'intérêt du service à l'intérêt du gouvernement, confusion que condamne le principe même du régime démocratique" (concl. ss CE, 1er octobre 1954, Rev. adm. 1954, p. 512).
Il ne s'agit donc pas de faire prévaloir un quelconque "ordre moral", de censurer l'expression de certaines idées, mais d'éviter que le comportement du fonctionnaire ait des répercussions fâcheuses pour la réputation du service.
La jurisprudence admet ainsi la légalité de poursuites disciplinaires pour sanctionner des actes contraires aux bonnes mœurs, à l'honnêteté ou à l'honneur (CE, 26 février 1986, Rec. CE 1986, p. 89).
Toute la question est de savoir quel comportement peut heurter la dignité de la fonction, l'évolution des mœurs devant nécessairement guider l'interprétation du juge à l'égard des comportements contestés par l'Administration.
Simplement, à titre d'exemples, le Conseil d'État a jugé qu'est légalement révoqué un professeur d'université qui "a, avec une de ses élèves, des relations constituant un manquement aux bonnes mœurs ayant porté atteinte à l'honneur de l'université et compromis la dignité et l'autorité de la fonction professorale" (CE, 22 janvier 1975, Rec. CE 1975, p. 49 : cette appréciation datant de 1975, l’on peut imaginer que la sanction pourrait être différente aujourd’hui), et que peut être révoqué à bon droit le fonctionnaire de police qui vit avec une prostituée (CE, 14 mai 1986, Ministre de l’intérieur, Rec. CE 1986, p. 592).
Ne constitue pas cependant une faute disciplinaire le fait pour un gendarme d'entretenir une relation avec l'épouse d'un collègue ou supérieur dès lors que cette liaison n'a pas eu pour effet "de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'Administration" (CE, 15 juin 2005, n° 261691), ce qui ne peut être le cas dès lors que le fonctionnaire n'a donné aucune publicité à la relation qui lui est reprochée.
III. - Les assouplissements du devoir de réserve
De la conciliation de l’obligation de réserve et du devoir de dénonciation des infractions pénales
En vertu de l'article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale, “Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République (...)”.
Ce devoir de dénonciation n'a pas manqué d'entrer en conflit avec l'obligation de réserve à laquelle sont également tenus les fonctionnaires. La jurisprudence est loin d'être satisfaisante à ce sujet et l'Administration ne s'est pas privée par ailleurs de sanctionner un agent lorsque la dénonciation est considérée comme intempestive faute des preuves satisfaisantes transmises au procureur. Il paraît néanmoins difficile de soutenir que l'article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale peut justifier la diffusion d'informations confidentielles ou susceptibles de porter atteinte aux intérêts et à l'image de l'Administration.
De la conciliation de l’obligation de réserve et de la dénonciation d’un harcèlement subi
L’article 6 quinquies du statut général de la fonction publique interdit que l’on puisse sanctionner un agent pour avoir dénoncé le harcèlement moral dont il fait l’objet. Toutefois, l’obligation de déférence (vu précédemment) , qui peut se confondre avec l'obligation de réserve, interdit aussi de tenir des propos outranciers visant les supérieurs hiérarchiques, y compris lorsque l'agent public entend dénoncer le harcèlement moral avéré dont il a été victime (CAA Marseille, 27 sept. 2011, n° 09MA02175, AJDA 2011, p. 2112).
De la conciliation de l’obligation de réserve avec l’exercice de prérogatives syndicales
La critique est une des conditions du bon fonctionnement du service en permettant son adaptation aux exigences nouvelles. L'activité syndicale peut contribuer à cette adaptation mais "un fonctionnaire ne peut invoquer la liberté syndicale comme fait justificatif de la violation des devoirs que lui impose sa fonction" (L. Dubouis, note ss CE, 8 juin 1962, F. : D. 1962, jurispr. p. 492).
Par principe, l’on considère que la défense des intérêts des agents confère aux agents investis de fonctions syndicales, une plus grande liberté de ton. La reconnaissance d'une plus grande liberté d'expression au bénéfice de l'agent investi de fonctions syndicales se justifie aisément. L'activité syndicale nécessite, en effet, une "vivacité" et un "mordant" (M. Chapus, Droit administratif général, n° 286) qui heurtent nécessairement les exigences de neutralité.
Les publications ou communications syndicales bénéficient également d'une bienveillance de principe. Cependant, en l'absence de tout lien avec la défense des intérêts professionnels, l'agent s'expose à des sanctions disciplinaires dès lors que les propos constitutifs d'un manquement à l'obligation de réserve de par leur nature et violence portent atteinte aux intérêts de l'Administration qui emploie l'agent (CAA Bordeaux, 4 novembre 2008, n° 07BX01721).
Un certain nombre d'affaires ont également posé la question de la liberté d'expression syndicale lorsque des propos critiques sont diffusés via la messagerie électronique du service. La cour administrative d'appel de Bordeaux a rappelé que l'obligation de réserve s'impose à tout agent public, même dans le cadre d'une activité syndicale.
La liberté d'expression est limitée pour le fonctionnaire, même représentant du personnel dans une instance administrative de participation, et toute dénonciation virulente et déloyale, sur la messagerie électronique du service au moyen des listes de diffusions, constitue un manquement aux obligations de discrétion professionnelle et de réserve. Ce n'est cependant pas le cas lorsque les propos diffusés ne sont pas injurieux ni ne constituent pas des attaques personnelles (CAA Bordeaux, 2 juin 2009, n° 08BX02082, Desby, AJFP 2009, p. 248 ; AJDA 2009, p. 1677).
IV. – Les dangers des nouveaux moyens de communication et la conduite à tenir
L’utilisation d’internet et des réseaux sociaux est venu renouveler les questionnements relatifs au devoir de réserve et de discrétion professionnelle. Les employeurs publics peuvent être confrontés à deux types de situations : - celles dans lesquelles un agent est victime d’internet ou des réseaux sociaux en lien avec ses fonctions ; - celles dans lesquelles un agent se rend coupable de manquement à ses obligations professionnelles par le biais de ces nouveaux outils de communication.
• L’agent victime des réseaux sociaux
De la demande de protection fonctionnelle
Un agent qui fait l’objet de menaces ou de propos insultants sur les réseaux sociaux par des collègues ou simplement en lien avec ses fonctions peut valablement demander, de ce fait, l’octroi de la protection fonctionnelle (CAA Marseille, 9 février 2016, Jaso, n° 14MA03847).
De la dénonciation d’un harcèlement moral par réseau social interposé
Un agent a prétendu avoir été victime de harcèlement moral de la part d’un collègue et entend engager la responsabilité de l’employeur qui aurait laissé ce harcèlement se produire. Il appartient au juge de vérifier si les messages ont été nombreux, si les messages constituent en eux-mêmes des agissements de harcèlement moral et si l’employeur public, lorsque la situation lui a été signalée a pris des mesures pour séparer les agents concernés. Dans cette affaire, le juge a estimé que la responsabilité de l’établissement n’avait pas à être engagée (CAA Douai, 21 mai 2015, Hubert, n° 14DA00414).
• L’agent coupable de fautes professionnelles sur internet
De l’introduction d’une procédure disciplinaire contre un agent apparaissant dans des vidéos pornographiques sur un blog
Le juge administratif va vérifier si la présence de vidéos pornographiques mettant en scène l’agent sur un blog a eu « des répercussions sur le bon fonctionnement de l’établissement ». Il estime que tel est le cas, nonobstant le fait que l’agent avait sollicité une autorisation de cumul d’activités accessoires pour exercer des activités artistiques ; que le site était destiné à un public adulte (alors qu’elle exerçait dans un établissement scolaire) et qu’elle n’exerçait qu’une activité d’agent d’entretien (donc un poste qui n’implique pas de représenter l’établissement). Une sanction d’exclusion temporaire de fonctions de 3 jours a été validée (CAA Lyon, 23 décembre 2014, Région Rhône-Alpes, n° 13LY02700).
De l’introduction d’une procédure disciplinaire contre un agent ayant insulté gravement un élu sur la page Facebook de sa société
Un agent a adressé des propos très insultant à l’encontre du premier adjoint de la commune, sur la page Facebook de l’entreprise gérée par ce dernier. La sanction de révocation est adoptée par le Maire. Le juge administratif estime que cette sanction est proportionnée au regard du passé disciplinaire de l’agent (deux sanctions précédemment infligées), de ce qu’un rappel à ses obligations professionnelles lui avait déjà été fait et qu’il n’a manifesté aucun regret devant le conseil de discipline (CAA Nantes, 21 janvier 2016, Henrich, n° 14NT02263).
Du caractère inapproprié de l’introduction d’une procédure disciplinaire contre un agent ayant manifesté une opinion défavorable au Maire de la commune sur Facebook, lors de la campagne des législatives
Un agent municipal lors de la campagne des élections législatives s’est affiché proche d’un candidat opposé au Maire de la commune et a adressé des SMS et des propos sur sa page Facebook appelant à voter contre celui-ci. Il a été sanctionné d’un abaissement d’échelon (2ème groupe). Le juge administratif a estimé que dès lors que les propos n’avaient pas excédé les « limites de la polémique électorale », que l’agent ne faisait pas état de sa qualité d’agent municipal et qu’il avait un faible niveau de responsabilité, il n’y avait pas de faute disciplinaire de caractérisée et qu’ainsi, il ne pouvait être sanctionné (CAA Nancy, 3 décembre 2015, Commune de Saint Avold, n° 14NC02361).
Du licenciement infligé à un agent contractuel ayant diffusé sur un blog des photographies de collègues en service
Un agent non titulaire recruté pour une durée de trois mois avait présenté des photographies du service, faisant apparaître ses collègues (service de police municipale) sur un blog. Le juge ne retient pas le reproche selon lequel il aurait essayé de se faire passer pour un agent de police municipale, en revanche, il relève que la « diffusion publique de photographies représentant ses collègues » constitue un manquement à l’obligation de discrétion professionnelle susceptible d’être sanctionné. Toutefois, dès lors que les photographies ne présentaient pas un caractère sensible, leur diffusion sur internet n’avait pas pour effet de porter atteinte au bon fonctionnement du service et, en conséquence le licenciement constituait une sanction disproportionnée (CAA Nancy, 2 juillet 2015, Lamache, n° 14NC01247).
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